Technical description:
3 x 4 meters retro projection screen
Camera DV or mini DV
Mac G4 or G5 Computer (1.5 GHz or higher CPU)
10 meters VGA cable (RCA connectors)
2 800 watts theatrical spotlights
Video Projector (from 2000 lumen)
Amplifier with two speakers
A screen divides a dark, empty and quiet room in half. Images projected on it imitate a mirror. On first approach the visitor sees his faithful reflection. In the middle of room space an interactive carpet lays. As one steps on it, a signal is sent to computer to record the visitor for 30 seconds. At the end of this period, instead of own lone reflection, one begins to see his image surrounded by previous visitors.
Sometimes one finds oneself a witness to a conversation or a quarrel. Sometimes one hears whispers.
This installation reacts to visitor’s presence on the interactive carpet by superimposing various images, scenes and sounds generated in a random manner. The exhibition behavior evolves during the duration of the show; it modifies according to the database of all the people who visited the exposition.
Notre être en question La mémoire du miroir
On devrait peut-être se taire, s’abstenir de tout commentaire et laisser une page blanche que chaque visiteur pourrait remplir. L’installation d’Alexandra Dementieva est en effet entièrement tributaire de son appropriation par le public. Sans visiteur, La mémoire du miroir n’existe pas. Elle se mue en une chambre obscure et silencieuse. Elle s’éteint et elle se tait. Dans cette oeuvre, comme dans tous les travaux de Dementieva depuis une dizaine d’années, tout se joue sur place, «ici et maintenant». Chaque jour, chaque minute, chaque passage est différent. Seuls le miroir et le visiteur garderont la mémoire de l’événement, d’un «happening» chaque fois singulier. Pour enrichir ce souvenir, on donnera ici quelques clefs de lecture et d’interprétation.
Je tu il nous vous ils Le miroir de Dementieva est un faux miroir, un écran qui projette notre image captée trente secondes auparavant. Nous entrerons donc dans une chambre obscure, pour nous voir apparaître après une brève attente tels que nous étions quelques instants auparavant. Aurons-nous changé? Se trouvera-t-on ridé(e), mal coiffé(e), fatigué(e), mal sapé(e) …? Tenterons-nous de nous parfaire, d’égaler l’image que nous souhaitons donner de nous-mêmes, de prendre le dessus sur notre reflet? Le dialogue est amorcé. Cette oeuvre parle de nous, de notre image, de nos gestes, de notre manière d’être.
Nous voici bientôt rattrapés par d’autres reflets, d’autres visiteurs, qui ne sont plus dans notre environnement, mais ont «emprunté» l’oeuvre quelques minutes plus tôt. Le miroir nous renvoie la mémoire des passages précédents. Et nous nous positionnerons, émettrons des jugements, tenterons de nous inspirer de telle ou telle attitude, de répondre à une autre…
Le dialogue s’enrichit. Cette oeuvre parle de moi et des autres, de moi parmi eux, de moi vis-à-vis d’eux. Leur égal, leur semblable? Ou un autre, singulier, différent? À moi de voir, à moi de jouer.
Ensuite, j’entends des pas et une jeune femme apparaît à l’écran. Elle grille une cigarette. Quoi, ici! Une autre encore, qui m’interpelle: «T’as vu celui-là, tu ne trouves pas qu’il a de grandes oreilles?» Puis un autre: «Franchement, c’est de la merde ce truc, il ne se passe rien ici, on sort!» Ce sont en réalité des figurants, des acteurs préenregistrés qui ne sont pas passés dans la pièce, mais nous apparaissent comme si c’était le cas. Au nombre de douze, ils nous interpellent par leurs actes ou leurs paroles sur quatre thèmes: le lieu, l’art, le miroir, le jugement sur les autres. Ils adoptent une attitude étrangère à celle qu’impose un lieu d’exposition, parlent à haute et intelligible voix, entament débats et controverses. Le dialogue s’étoffe. Cette oeuvre se veut un forum, elle appelle un échange de vues. Vais-je me taire, observer et fuir ? Vais-je réagir, m’extraire de l’état contemplatif, amorcer une discussion, me dévoiler au-delà de mon reflet?
La conscience en alerte La mémoire du miroir nous happe donc dans une chaîne d’interactions et de questionnements portant sur de multiples dimensions de notre existence: notre image, notre identité physique, notre manière d’être, notre relation aux autres, notre comportement en communauté, l’écoulement du temps, l’emprise du passé proche sur notre état présent, la nature et la portée d’une expérience esthétique. Nous quitterons l’installation enrichis d’un nouveau regard sur nous-mêmes et notre environnement social. Nous aurons peut-être vécu une rencontre, partagé un événement collectif.
Tous ces niveaux de lecture sont autorisés, depuis la simple expérimentation technologique jusqu’aux interrogations relationnelles. À chaque étape du dialogue, nous préservons notre droit au silence et notre liberté de parole. En nous plongeant dans un tête-à-tête avec notre reflet, Dementieva nous offre tout le recul nécessaire au perfectionnement de notre sens critique. En bannissant la contemplation, l’émerveillement, le tour de force spectaculaire autant que l’introspection, elle évite la manipulation.
Notre conscience est toujours sollicitée, toujours en éveil. Nous sommes la substance de l’oeuvre, donc nous enrichissons notre identité, nous sommes préservés de toute dissolution.
On s’autorisera ici à puiser au commentaire énoncé par Dan Graham au sujet d’une de ses installations, Public Space/Two Audiences1: «Les spectateurs, au lieu de contempler une réalisation artistique insérée dans la salle sont eux-mêmes offerts aux regards (…). Le spectateur devient plus attentif à sa propre situation psychologique et sociale. L’observateur prend conscience de sa présence physique, de ses perceptions, de sa relation avec le reste du groupe. C’est l’inverse de l’habituel effacement du ‘‘moi’’ du spectateur qui regarde une oeuvre d’art traditionnelle. (…)».
L’emprunt à Dan Graham n’est en rien innocent. Non seulement cette citation donne un éclairage particulièrement lumineux sur l’installation de Dementieva, mais elle nous permet également d’évoquer les travaux d’une figure qui a fortement impressionné la jeune Moscovite.
Gestes à la loupe Une brève escapade dans l’oeuvre de Dan Graham nous permettra d’enrichir notre compréhension de l’oeuvre commentée ici et d’en préciser les spécificités. S’inscrivant dans la mouvance de l’art conceptuel, Dan Graham fait partie de ces artistes qui, dans les années ’60 et ’70, ont exploité la vidéo pour interroger les modalités du langage artistique. À partir de 1974, il met en place des installations combinant murs réfléchissants et moniteurs vidéos projetant l’image des visiteurs avec quelques secondes de décalage.
Dans ces dispositifs toujours plus complexes, le spectateur est confronté à un véritable vertige perceptif : dans le même espace, il se voit de face, de dos et de profil, en temps réel et en temps différé. Il voit s’emboîter sur un moniteur plusieurs images de lui-même, à des moments différents. Il est plongé au même moment dans un écoulement temporel et dans de multiples visions d’un même espace. Le dispositif se complexifie encore lorsquele spectateur voit d’autres visiteurs, en temps réel ou en temps différé, évoluant dans un espace voisin ou lorsqu’un «performer», camouflé derrière une vitre sans tain, commente l’attitude des uns et des autres, tentant d’expliciter ou de prévoir l’enchaînement de leurs gestes.
La démarche vise à interroger la perception que nous avons de nous-mêmes et de notre environnement, de même que les supports de cette perception, dont il montre les spécificités (reflet frontal et instantané du miroir, image retransmise par un moniteur qui peut être proche ou éloigné de la position de l’observateur…). Par ailleurs, Dan Graham dissèque le comportement du spectateur, l’amenant à «repérer les incidences du comportement présent sur le comportement adopté quelques secondes plus tard», à «replacer son attitude dans une relation de cause à effet», à inscrire son comportement dans un «process», une extension du temps présent, à ressentir la duplicité et l’hybridité d’un espace-temps…
Cette approche s’inspire ouvertement du behaviorisme, un courant de la psychologie né aux États-Unis au début du XXe siècle, qui a pour objet l’étude des comportements comme unique champ observable de l’activité psychologique. Le behaviorisme exclut toute référence à la conscience et s’oppose à la méthode d’observation introspective. Science du comportement, il analyse les relations qui existent entre les stimuli et les réponses du sujet, tentant ainsi de dégager les lois qui sont à la base des conduites animales et humaines. Dan Graham transpose cette vision dans le champ artistique. À la manière d’un laborantin, il multiplie les données de l’expérience pour enrichir continuellement l’analyse comportementale et la représentation qu’on a de soi.
La vie immédiate Les intentions de Dan Graham, de même que les données puisées au behaviorisme, font partie des sources constitutives de l’installation de Dementieva. Celle-ci conçoit d’ailleurs La mémoire du miroir comme l’un des volets du Musée du comportement humain dont elle collecte la matière d’oeuvre en oeuvre. Mais, pour reprendre sa formule, l’héritage conceptuel et comportementaliste est ici intégré à «des situations plus précises», à une «réflexion sur la vie générale». Les interventions des acteurs préenregistrés ne sont pas des stimuli de laboratoire, ce sont des appels de la vie réelle, des outils d’intégration de l’expérience.
Tandis que Dan Graham isole des comportements dans un espace d’exposition dont il affirme l’existence tout en relevant l’ambiguïté, Dementieva importe des situations quotidiennes dans un espace d’exposition qu’elle cherche à effacer. Dan Graham nous avertit: nous sommes dans un musée, nous menons une expérience, ceci est un miroir, ceci un moniteur, ceci une cloison… Dementieva nous dit: oubliez le musée, nous sommes dans la vie, il n’y a que nous, nous allons parler. Chez l’un, le quotidien est suggéré dans un questionnement explicite du lieu et des médiums. Chez l’autre, la spécificité du lieu et des médiums est suggérée dans des situations extraites du quotidien.
C’est cette volonté d’affirmation de la vie qui explique le recours aux nouvelles technologies. Si Dementieva fait appel à un dispositif technique très complexe6, élaboré avec l’aide de Siegfried Canto, un créateur multimédia rompu à l’art des installations sonores interactives, ce n’est pas pour se livrer à un exercice de virtuose, mais pour renforcer l’immédiateté des images, pour les rendre plus vraies, plus proches, plus efficaces. À cet égard, le son joue un rôle capital. Il augmente le pouvoir mimétique de l’installation tout en rendant son propos beaucoup plus explicite: on entend arriver les acteurs dans la pièce «comme s’ils y étaient», leurs interpellations nous incitent à réagir.
Tout est donc mis en oeuvre pour nous extraire d’un état contemplatif et nous amener à une réflexion sur le contenu de l’installation, nous inciter à prendre une part active aux problématiques qu’elle soulève. Il ne s’agit ni d’une projection onirique d’un univers intime, ni d’une pure spéculation intellectuelle, ni d’une mystification esthétique du quotidien. Les situations de la vie réelle sont mises en chantier dans une optique participative. C’est notre être, notre existence que l’artiste met à portée de nos sens, dans l’espoir que nous trouvions les ressources nécessaires à leur transformation. Sans démagogie, avec humilité.
Laurent Courtens
(...) Le miroir, après tout, c’est une utopie, puisque c’est un lieu sans lieu. Dans le miroir, je me vois là où je ne suis pas, dans un espace irréel qui s’ouvre virtuellement derrière la surface, je suis là-bas, là où je ne suis pas, une sorte d’ombre qui me donne à moi-même ma propre visibilité, qui me permet de me regarder là où je suis absent: utopie du miroir. Mais c’est également une hétérotopie, dans la mesure où le miroir existe réellement, et où il a, sur la place que j’occupe, une sorte d’effet de retour; c’est à partir du miroir que je me découvre absent à la place où je suis puisque je me vois là-bas. À partir de ce regard qui en quelque sorte se porte sur moi, du fond de cet espace virtuel qui est de l’autre côté de la glace, je reviens vers moi et je recommence à porter mes yeux vers moimême et à me reconstituer là où je suis; le miroir fonctionne comme une hétérotopie en ce sens qu’il rend cette place que j’occupe au moment où je me regarde dans la glace, à la fois absolument réelle, en liaison avec tout l’espace qui l’entoure, et absolument irréelle, puisqu’elle est obligée, pour être perçue, de passer par ce point virtuel qui est là-bas. (...)